Guide de la transcréation, 2ème partie

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fountain pen Vade-mecum de la transcréation, 2ème partie

La semaine dernière, nous avons vu que le terme transcréation (ou adaptation ou tradaptation) peut être utilisé pour définir un éventail de prestations assez vaste.

Cette semaine, nous parlons « sous », ou plutôt comment établir un devis  et facturer ces différents types de prestations.

Attention, il n’y a pas de règles en la matière, les propositions ci-dessous reflètent ma propre approche suivant le cahier des charges de chaque projet et les objectifs de mes clients. Soyez prêts à expliquer votre méthode à vos clients : la transparence et la compréhension mutuelle sont à la base d’une relation de confiance.


Une structure de tarification cohérente avec le niveau de créativité requis

Une demande de transcréation/tradaptation peut vouloir dire bien des choses, depuis une traduction rédactionnelle pour publication à  l’adaptation (voire la création) d’un slogan, d’une baseline, d’une campagne de pub et j’en passe.

Essayons d’y voir un peu plus clair sur les différentes structures de facturations possibles.

Pour moi, la variable déterminante est le degré de créativité requis.

Pourquoi ? Parce que la créativité ou l’imagination n’arrive pas sur commande et ne se déroule pas contre la montre, dans un temps prévu et défini. Le déclic peut tout à fait avoir lieu alors que vous êtes en train de faire autre chose – que ce soit travailler sur un autre projet, faire la queue au supermarché, promener votre chien ou faire un exercice de relaxation (ce dernier étant d’ailleurs fort recommandé pour débloquer votre créativité).

Plus le projet demande de créativité – et parfois au point où il a plus de similitudes avec un travail de conception-rédaction qu’avec une quelqu’adaptation – plus il est impossible de facturer au mot et idiot de facturer au temps passé (vous le comptabilisez comment, le temps passé à votre séance de kiné au cours de laquelle vous avez eu L’Idée Brillantissime ?).

Une structuration cohérente avec la durée du projet

« Mais ce n’est qu’une phrase de 7 mots ! », dixit le client. « Vous n’avez pas besoin de deux jours pour me traduire ça, c’est votre langue maternelle ! »

Oui, cher client, sauf que ces quelques mots doivent porter la totalité de votre message à une cible bien précise. Si vous voulez une traduction littérale en quelques secondes, puis-je vous conseiller Google Translate ?

La durée nécessaire à une adaptation fortement créative est souvent
inversement proportionnelle à la longueur du texte source.

Une tradaptation d’un communiqué de presse de 500 mots, par exemple, même avec la restructuration requise pour le passer du français vers l’anglais ou vice-versa, demandera probablement moins de temps qu’une baseline de 7 mots.

Attention ! Je ne parle pas de temps de production, doigts sur le clavier ou plume à la main. Je parle de tout ce temps que vous passez à rechercher l’inspiration dans les dictionnaires, la musique, des livres, des magazines et ainsi de suite ou de ces heures où, inconsciemment, votre cerveau entier est en train de cogiter sur l’adaptation de cette baseline pendant que vous faites autre chose (même dormir !).

Plus le projet demande de créativité, plus une facturation au livrable,
qui est cohérente avec la valeur que vous apportez au client et la
rémunération des membres de l’équipe créative en langue source fait sens.

Quid des types de projet où le degré d’adaptation requis est moins évident ?

On ne le répètera jamais assez : regardez le document du client de près avant d’établir un devis d’élaborer votre proposition et vérifiez la cible et la destination visées, même pour la traduction la plus élémentaire qu’il soit.

Ceci est d’autant plus nécessaire dans le cas d’une demande de tradaptation.

Pourquoi ? Car c’est à vous, expert !, d’évaluer et d’expliquer à votre client l’étendue du travail requis.

A un bout de l’échelle, la tradaptation n’est peut-être rien de plus qu’une excellente traduction rédactionnelle de qualité « pour publication ». Dans ce cas, votre structure de facturation habituelle (au mot source ou au mot cible) peut tout à fait convenir. Vous connaissez votre rythme de production et donc le temps de travail requis.

Ce n’est pas forcément le cas si vous tombez sur :

  • un texte bourré d’argot ou de langage familier propre à une tranche d’âge, une région ou un groupe socio-culturel (par exemple, Ami Karim m’avait contactée il y a quelques mois en vue d’une tournée en Amérique du Nord. Comment donc adapter ces chansons, dont les paroles et les histoires sont si ancrées dans le « 9-3 », pour les faire percuter tant à New York, qu’à Chicago, qu’à Toronto ou encore Vancouver? Projet difficile, mais fascinant, qui, je l’espère se concrétisera et ne peut se faire en silo !);
  • un texte faisant emploi de références culturelles pour lesquelles il faut trouver peut-être des équivalents dans la culture cible  (je me souviens d’un projet où l’auteur faisait un usage abondant de références culturelles françaises, qui n’auraient même rien évoqué pour des Français de moins de 50 ans, ne parlons pas des étrangers !)
  • un texte de formation où l’ingénierie pédagogique ne correspond pas aux habitudes d’apprentissage de la culture cible;
  • un texte marketing qui met en exergue un bénéfice client tel qu’un SAV disponible 24h/24 qui n’existe pas dans le pays cible, où le SAV n’est que joignable pendant les heures ouvrables (là, ce n’est pas juste un changement d’informations qui est requis, il faudrait dans l’idéal trouver d’autres bénéfices client, sinon le texte ne sert plus à rien !);
  • ou encore un texte de politique intérieure française se référant abondamment à des termes tels que démocratie, solidarité, proximité ou libéral alors que leur équivalent-calque dans une autre langue ne signifie pas la même chose (quand on est « libéral » en France, on est à droite et quand on est un « liberal » aux US, on est démocrate, à gauche !).

Les exemples ne manquent pas.

Il n’y a que vous, experts dans la langue et la culture vers lesquelles vous travaillez, qui pouvez apprécier les adaptations requises pour répondre aux besoins et aux objectifs de votre client.

C’est à vous de savoir 1) quelle est la valeur ajoutée de votre prestation,  2) le temps dont vous aurez besoin pour effectuer ce travail dans les règles de l’art et 3) trouver et missionner un(e) relecteur(trice) dont les talents sont en parfaite adéquation avec le projet. Un projet pour un client direct est toujours relu par un professionnel tiers, yes ?

Un tarif au mot n’est pas très pratique, vous le comprendrez bien ! Et même un tarif unitaire élevé, à mes yeux, dévalorise votre travail, car les mots ne se vendent pas au kilo. Si cela est déjà le cas pour une traduction « normale », que dire dans le cas d’une tradaptation lourde !

C’est à vous de définir le mode de facturation (mot, heure, feuillet, livrable, forfait, jour) le plus cohérent et le plus équitable pour toutes les parties – et de l’expliquer.  C’est votre responsabilité – envers votre client et, surtout, envers vous-même. Si vous souhaitez vous positionner sur des projets à forte valeur ajoutée et à forte responsabilité, vous devez prendre la mesure de votre rôle et le porter fièrement.

Un prospect qui souhaite vous imposer un mode de facturation ou un tarif ou qui n’est pas en adéquation avec le projet est un prospect sans intérêt, car le projet lui importe peu et ce que vous êtes en mesure de lui apporter encore moins. Essayez donc d’imposer quoi que ce soit à votre expert-comptable, votre dentiste ou votre notaire – ils vont rire et vous inviter à aller voir ailleurs !

 

Un prospect qui recherche ce que vous pouvez lui apporter, avec qui une relation de confiance s’établit, avec qui le courant passe et qui s’implique dans le projet devient ce qui est, pour moi, un client de rêve.

[ le troisième billet dans cette série est ici]

 

 

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Comments: 8

(comments are closed)

 
  • Bravo, excellent billet! Vivement la suite!

     
     
     
    • Merci Céline ! La troisième partie concerne le temps…..et va prendre …du temps !

      Qu’est ce qui a le plus résonné pour toi dans cette deuxième partie?

       
  • Hi Patricia,

    Excellent post as it highlights some very importants points:

    – You can’t always charge using the word count criteria. You may be able to do this for technical texts, but I think that as soon as you touch marketing, advertising, and last but not least, literature, it becomes absurd. As soon as you’re offering a service implying creativity and superior writing skills, then it’s not a straight forward translation and it should be rewarded accordingly.

    – Research is time-consuming and clients have to be reminded that to get the best result, you will need to take your time to research the best options and to check on Internet and books etc.

    – Involving a third party is not only important, it is a must. You have an idea and you’re happy with it, but you have to test it on other people, whether experts or friends. Take a slogan for example: the more people you can ask, the better.

    I found your post interesting, Patricia, because over the years (but not recently), I have been asked to “translate” slogans for a few big names and I only charged a minimum fee because I didn’t know and enjoyed doing the job so much that I didn’t even question the fact that it could and had to be paid more. Was it my own fault for being satisfied with a minimum fee or was it the agent’s fault who was trying to get the job done for peanuts? Who knows?

    Well done for highlighting all these aspects of transcreation, Patricia! I look forward to the next episode.

     
     
     
    • Hi Nathalie,
      Indeed, it is hard at the beginning to know how to invoice and how much to charge. The focus, the energy is often elsewhere.
      I received several private messages asking “OK, but what are the rates? Do I charge €50 or €500 or more?” and, as with translation, there is not one market, but many. You have to go learn about your niche, your clients, their budgets, what others in creative positions in your markets charge, why they need this project and what they expect to gain from it and so on >> communication!
      In graduate school, we spend so much time conducting research for our papers, it is startling how the same kind of investment is not necessarily an automatic reflex as a freelancer.
      If I’ve gotten a few people to think about these types of issues, then this blog serves a purpose and I’m thrilled!

       
  • Merci Patricia pour ce billet qui clarifie bien les idées. Tu mets le doigt sur un point particulièrement délicat : pour pouvoir expliquer notre mode de tarification, il faut l’avoir déterminé précisément. A mon avis, il faut avoir pour cela une méthode relativement reproductible et ce, malgré la diversité des demandes… Pas simple !

     
     
     
  • Encore un excellent billet, Patricia. Merci !

    Personnellement, je note la pluralité de tarification (au feuillet, à l’heure, etc.) que je pensais à tort être un « handicap » car trop compliqué. En revanche, j’avoue ne pas avoir encore saisi le concept de la fixation d’un prix par rapport à la « valeur ajoutée » de la prestation. Cela me semble tellement flou… voire arbitraire ! La question qui me vient sans cesse est : « mais sur quoi se base-t-on » ?!

     
     
     
  • Bonjour Véronique,

    La pluralité de tarification n’est pas forcément un handicap qui complique les choses puisque vous expliquez à votre client pourquoi vous avez choisi la méthode que vous lui proposez. Tout professionnel doit connaître son tarif/jour de base et s’y retrouver quelle que soit la méthode de tarification.
    Quant à la question de tarification qui tient compte de la valeur ajoutée, il faut regarder Projet X par l’autre bout de la lorgnette – où s’inscrit-il dans la stratégie du client, quel est l’enjeu, quel est le budget du projet global, quelle est la valeur d’un travail nickel et, à contrario, le coût + les conséquences (monétaire et autre) d’un travail médiocre et ainsi de suite. Tout ceci fait partie d’une prise de brief client !

     
     
     
  • Là j’y vois déjà un peu plus clair 🙂 Merci !